Un atelier d’apprentissage du voguing - danse, culture et histoire du mouvement – a été mené sur plusieurs mois au sein de la section « Ambition réussite – danse hip hop » du lycée Turgot, dans le 3ème arrondissement de Paris, en collaboration avec le danseur Vinii REVLON, un des voguers français les plus importants de la scène ballroom, la Gaîté Lyrique et l’Observatoire académique de lutte contre les violences et discriminations anti-LGBT+.
Ce projet s’est inscrit dans le cadre d’un travail de réflexion mené avec les élèves sur les normes de genre, les codes de la féminité socialement construits et la possibilité de les dénaturaliser et les défier en les rejouant et en les déplaçant, comme y invite le voguing et son potentiel critique qui opère une sorte de parodie des normes de genre comprises comme performatives. Le travail sur l’appropriation des codes de la féminité socialement construits se fait davantage au niveau de la gestuelle, de la posture que du vêtement et permet de réfléchir aux rôles genrés, tout en se réappropriant des éléments d’une culture à la fois afro-américaine et à la fois LGBT+ et en les rendant visibles.
Historiquement, le voguing est en effet une danse et un mode d’expression créés dans les années 70 au sein de la communauté africaine-américaine gay et transgenre d’Harlem, et dont les mouvements au son de la house, empruntent une identité visuelle aux magazines de mode, dont le célèbre Vogue, s’inspirant notamment des parades sur les podiums et incarnant ce à quoi cette communauté, très fortement stigmatisée et discriminée au sein de la société américaine, n’avait pas accès : la mode, l’argent, le luxe, la richesse…
Née dans la rue, dans une culture de danse urbaine de battle entre différents « gay street gangs » et se développant de manière concomitante dans les lieux clos que sont les ballrooms, cette danse offrait un espace de liberté et d’expression pour des communautés victimes à la fois du racisme, d’homophobie et de transphobie. Les « balls » sont de gigantesques concours de travestissement, fêtes déconstructivistes, où toutes les catégories de la société sont « draguées » ; genre, couleur et classe sociale. Les performeurs peuvent être qui ils veulent, et rejouent pendant leurs performances bon nombre de stéréotypes de genre, exacerbées au travers de la parodie. Cette culture inspirera d’ailleurs en partie la théorie de Judith Butler, philosophe américaine et théoricienne du genre, développée dans son ouvrage Ces corps qui comptent, qui ressaisit la façon dont ces corps peuvent défaire les normes qui les constituent et devenir le lieu d’une puissance d’agir transformatrice.
Danse résolument émancipatrice pour les personnes LGBT+, le voguing est une culture complexe et codifiée, qui offre un espace de liberté, la possibilité de s’inventer, de jouer avec les normes, d’expérimenter le corps et de le performer. Il remet au centre des identités la fierté, la possibilité de la différence et le goût de la mimesis.
La performance proposée par les élèves de la section hip-hop du lycée, captée sous la forme d’un clip spécifiquement dédié à la journée internationale de lutte contre les LGBT+phobies et projeté lors du séminaire académique de lutte contre les LGBTphobies en milieu scolaire organisé en Sorbonne le 1er octobre, a ainsi permis d’interroger les rapports entre art et engagement, tout en se réappropriant des éléments d’une culture ouvertement LGBT+ et de couleur.
Mise à jour : septembre 2022