Emmanuelle Bayamack-Tam est professeure de lettres dans un lycée de l’académie de Créteil mais aussi une auteure reconnue qui vient d’être récompensée par le prix Médicis pour son roman La Treizième Heure. Elle est également très investie dans le Prix littéraire des enseignants de l’académie de Créteil dont elle a assuré la présidence du jury cette année.
Parlez-nous de vous…
Je suis d’origine marseillaise. J’ai passé l’agrégation de lettres à l’âge de 22 ans puis je suis venue enseigner en Ile-de-France, pas par choix mais au hasard des mutations, d’abord en Seine-Saint-Denis puis dans le Val-de-Marne. Je trouve que ce brassage n’est pas si mal. J’enseigne la littérature au lycée Darius Milhaud du Kremlin-Bicêtre depuis 2008, actuellement à des élèves de BTS, auparavant à des lycéens de 1ère, 2nde et terminale L.
Comment articulez-vous l’écriture, le fait d’être une auteure reconnue et publiée et votre métier de professeure?
Depuis toute petite je suis une lectrice compulsive, j’ai très vite écrit des petites histoires et des poèmes. Depuis 1996, j’ai publié une quinzaine de livres et de pièces. J’ai longtemps cloisonné l’enseignement et l’écriture, même s’il y a une porosité certaine entre les deux pratiques. Pour mes élèves c’est évidemment un motif de fierté, mais nous n’évoquons pas cela pendant l’année scolaire. En revanche, ils osent venir plus facilement m’en parler une fois l’année scolaire finie quand ils me rencontrent à un moment où nous ne sommes plus dans une relation pédagogique.
Le fait d’enseigner les lettres a évidemment un impact sur ce que j’écris. Mes livres sont irrigués par des textes que je connais d’autant mieux que je les enseigne. Je suis enseignante et autrice mais je reste lectrice. Ecrire est une manière de rendre hommage à ces auteurs qui m’ont formée, qu’ils soient classiques ou plus contemporains.
Je n’aurais pas enseigné différemment si je n’avais pas écrit. Mes élèves de BTS sont assez éloignés de la lecture et de la littérature. Mais avoir une professeure de lettres écrivaine et contemporaine fait qu’ils perçoivent que la littérature n’est pas si archaïque, et ils sont également heureux de rencontrer d’autres auteurs contemporains.
Vous venez de recevoir le prix Médicis pour votre roman La treizième Heure. Pourquoi ce titre ?
Il fait référence au premier vers du sonnet Artémis de Gérard de Nerval :
La Treizième revient… C’est encor la première;
Et c’est toujours la seule, ou c’est le seul moment;
Dans mon roman, j’ai imaginé une communauté religieuse qui remplace les évangiles par la récitation de ce sonnet mais également de poèmes d’Aragon et d’autres auteurs des 19e et 20e siècles. Je voulais placer la poésie au centre du récit (le héros Lenny est d’ailleurs fou de poésie), car je trouve que notre société est très prosaïque et manque de poésie.
Votre livre aborde également des thèmes sociétaux, la quête de soi, la famille, l'acceptation de la différence, c'est un roman grave mais aussi porteur d'espoir…
Mes romans sont de plus en plus ancrés dans le social, d’ailleurs dans La Treizième Heure je parle des nouvelles configurations familiales, de l’acceptation de l’autre, de sa propre différence. Ces thèmes correspondent à des inquiétudes collectives. Je pense qu’une autrice de fiction a le devoir de métaboliser l’actualité. Je suis à la fois traversée par des inquiétudes et imprégnée de texte littéraires. Tout ceci va ensemble. La fiction permet la réflexion, c’est un espace de liberté.
J’écris des choses que j’espère accessibles au plus grand nombre, avec des angoisses et des inquiétudes qui ne sont pas seulement les miennes. J’ai écrit ce livre dans une période assez sombre, je l’ai commencé pendant le 2e confinement et terminé au début de l’invasion russe en Ukraine. J’avais envie de terminer sur l’espoir d’un changement et d’une prise de conscience, et je m’adresse aux jeunes générations car il y de l’espoir du côté des jeunes générations.
Mise à jour : novembre 2024