Webinaire du mardi 10 janvier 2023
đ§ đ "Comment le cerveau explore et interprĂšte le monde"
Pour rĂ©pondre Ă cette question nous avons invitĂ© Daniel SHULZ. Il est directeur de recherche en neurosciences au CNRS et directeur du DĂ©partement de Neurosciences IntĂ©gratives et Computationnelles Ă lâinstitut NeuroPSI (CNRS-UniversitĂ© Paris-Saclay) et a aussi rĂ©alisĂ© plusieurs confĂ©rences dans les classes auprĂšs dâĂ©lĂšves et dâenseignants. Il aborde le fonctionnement du cerveau, l'interaction entre sens et mouvement et montre comment le cerveau gĂ©nĂšre un modĂšle prĂ©dictif du monde. Il partage Ă©galement son expĂ©rience de la science et de la recherche, en interrogeant notamment l'attitude du chercheur face aux doutes de la population sur la mĂ©thode scientifique et la validation de ses dĂ©couvertes.
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Comment le cerveau explore et interprÚte le monde ?
Comment construisons-nous nos perceptions et nos représentations du monde ?
Dans son intervention, Daniel Shulz aborde ces questions du point de vue des neurosciences, lâĂ©tude interdisciplinaire du systĂšme nerveux et la cognition. Daniel Shulz crĂ©e des ponts avec notre expĂ©rience du quotidien pour nous aider Ă mieux comprendre les Ă©lĂšves et enrichir nos pratiques. En mettant en lumiĂšre des processus en jeu dans nos perceptions, certaines notions interpellent nos conceptions de la vĂ©ritĂ©. Pour Daniel Shulz, cette entrĂ©e par les neurosciences ouvre des horizons : elle nous incite Ă accueillir lâautre dans sa diffĂ©rence et souligne l'importance dâenseigner la posture du questionnement plutĂŽt que de certitudes. Son Ă©clairage met en perspective la thĂ©orie de lâesprit dans le dĂ©veloppement de lâenfant.
à travers ce webinaire, Daniel Shulz nous fait passer différents messages.
Au quotidien notre expĂ©rience du monde nous paraĂźt unifiĂ©e et pourtant au niveau de lâanatomie du cerveau il y a une division du travail. Câest-Ă -dire que diffĂ©rentes zones du cerveau sont dĂ©diĂ©es Ă diffĂ©rentes fonctions, telles que lâouĂŻe, la vue, le toucher, la parole, la mĂ©moire et dâautres.
Le cerveau nâest pas passif par rapport Ă notre environnement, au contraire il lâinterprĂšte. Ainsi nous nâavons pas un accĂšs direct au monde. Nos perceptions et nos reprĂ©sentations nâen sont pas une copie conforme mais elles sont construites par notre corps et notre cerveau. Un processus utilisĂ© pour construire ces perceptions est notamment celui de la comparaison. Câest-Ă -dire que nos perceptions Ă©mergent de la comparaison de diffĂ©rentes informations plutĂŽt quâelles ne sont fidĂšles Ă la rĂ©alitĂ© physique du monde. Il utilise notamment les exemples des couleurs et des tempĂ©ratures pour expliciter ce phĂ©nomĂšne.
Une expĂ©rience facile Ă rĂ©aliser en classe permet dâillustrer ce processus :
Munissez-vous de trois bassines remplies dâeau Ă 30°, 20° et 10°. SĂ©parez votre classe en deux groupes. Le premier groupe placera une main dans la bassine Ă 30° et lâautre dans celle Ă 20°. A lâinverse, le deuxiĂšme groupe placera une main dans la bassine Ă 10° et lâautre dans celle Ă 20°. Alors que vous pouvez prouver avec un thermomĂštre que la tempĂ©rature est physiquement la mĂȘme, la perception des deux groupes sera diffĂ©rente. Cette perception sensorielle est influencĂ©e par la comparaison effectuĂ©e par notre cerveau entre les deux bassines. Vous pouvez inviter les deux groupes Ă partager leur expĂ©rience. Il est intĂ©ressant dâautoriser les Ă©lĂšves Ă avoir des perceptions diffĂ©rentes et que pour autant lâautre ne se trompe pas forcĂ©ment.
Nos perceptions et nos reprĂ©sentations sont aussi influencĂ©es par nos expĂ©riences et notre culture. Lâillusion du parallĂ©logramme de Sander en est un exemple intĂ©ressant. Dans cette illusion, une certaine perspective est attribuĂ©e Ă une image en deux dimensions, comme si elle Ă©tait couchĂ©e vers lâarriĂšre. Cette impression de profondeur conduit Ă percevoir des traits de mĂȘme longueur comme Ă©tant diffĂ©rents. Or cette illusion semble affecter des populations ayant Ă©voluĂ© et sâĂ©tant dĂ©veloppĂ©es dans des environnements oĂč il y a beaucoup de perspective, comme les villes, et non pas des populations vivant dans la nature comme des sociĂ©tĂ©s de chasseurs cueilleurs.
Nos sens et nos mouvements travaillent conjointement pour nous permettre de produire des reprĂ©sentations et des comportements complexes. Câest ce quâon appelle lâintĂ©gration sensorimotrice. Ainsi la sensation nâest pas possible sans mouvement. Par exemple, nos yeux doivent se dĂ©placer le long dâune image pour dĂ©tecter les frĂ©quences Ă©mises et ensuite construire une reprĂ©sentation visuelle. Ou encore, pour reconnaĂźtre la forme dâun objet les yeux fermĂ©s, il est essentiel de le manipuler. A lâinverse, le mouvement devient trĂšs difficile sans sensation. Câest pourquoi la manipulation dâobjets est ralentie et moins prĂ©cise lors dâune anesthĂ©sie locale.
Lors de lâapprentissage dâune tĂąche motrice, comme lâĂ©criture, nous devons apprendre Ă diminuer la variance de nos mouvements, Ă les optimiser. Dans ce but, le cerveau va alors contracter nos muscles ce qui nous amĂšne Ă ĂȘtre raide et rigide. Une fois la tĂąche motrice automatisĂ©e, le cerveau pourra alors lever cette contrainte. Il est donc inutile de demander Ă un enfant qui est en train dâapprendre Ă Ă©crire de relĂącher sa main, car il ne pourra pas le faire. On peut aussi rassurer lâenfant quâil est normal quâĂ©crire soit douloureux au dĂ©but mais quâavec la pratique la tĂąche devient plus confortable.
Nos perceptions et reprĂ©sentations du monde ne sont pas le monde lui-mĂȘme. Le cerveau projette du sens. Il aurait ainsi une idĂ©e de ce quâest le monde Ă lâextĂ©rieur basĂ©e sur ses expĂ©riences passĂ©es. Une thĂ©orie scientifique en vogue qui fait actuellement l'objet de recherches dĂ©peint notre perception comme une reprĂ©sentation probabiliste du monde. Câest-Ă -dire que le cerveau gĂ©nĂšre des attentes, des hypothĂšses, des modĂšles du monde, et confronte ensuite ces modĂšles avec la rĂ©alitĂ©, et Ă©ventuellement les rĂ©ajuste.
Enfin, en sâappuyant sur lâexemple de lâinfodĂ©mie durant la pandĂ©mie de la covid 19, Daniel Shulz explicite la diffĂ©rence entre science et recherche. La science est un corpus de connaissances produit par des mĂ©thodes strictes partagĂ©es par tous les chercheurs dans le monde, alors que la recherche est une activitĂ© humaine Ă la limite de la connaissance pour laquelle le doute est moteur. Pour lui, la transmission dâune culture scientifique valorisant la posture de recherche au-delĂ des seuls savoirs scientifiques est un enjeu de sociĂ©tĂ© et un levier dâapprentissage. La mĂ©thode scientifique qui repose sur lâobservation, la mesure, lâexpĂ©rimentation, sur la formulation dâhypothĂšses qui sont testĂ©es, fait dâailleurs Ă©cho aux processus en jeu dans la construction de nos reprĂ©sentations par notre cerveau. Il nous encourage Ă Â laisser lâenfant expĂ©rimenter, partager ses perceptions, Ă ne pas lui transmettre que des certitudes mais Ă lâautoriser Ă douter pour apprendre.
Perspectives :
> Quel rĂŽle pour lâĂcole dans la diffusion de la culture scientifique ? de quelle culture scientifique est-il question ?
> Le doute et la recherche peuvent-ils nous inspirer dans nos façons dâapprendre et dâenseigner ? Quelle Ăcole se dessine quand les Ă©lĂšves ou les professeurs sâimaginent chercheurs ?
Ressources pour aller plus loin :
> Neurosciences et Ă©ducation: La bataille des cerveaux - veille scientifique par lâIFE
> La diffusion de la culture scientifique : bilan et perspectives - rapport publique par lâinspection gĂ©nĂ©rale de l'administration de l'Ăducation nationale et de la Recherche
Mise Ă jour : juin 2023